Façonner le dÊveloppement et les projets collaboratifs dans les TIC pour la prospÊritÊ mondiale

par Robert J. Chassell

D'après un discours donnÊ lors de la deuxième Global Knowledge Conference, à Kuala Lumpur (Malaisie) le 7 mars 2000.


Le titre de cette présentation est « Façonner le développement et les projets collaboratifs dans les TIC pour la prospérité mondiale » et les thèmes de cette conférence sont : « accéder », « autonomie » [empowerment] et « gouvernance ».

Ce que je voudrais faire aujourd'hui, c'est prendre une technologie spÊcifique et vous dire comment nous avons façonnÊ cette technologie pour la rendre accessible et en faire un instrument d'autonomie, comment nous l'avons placÊe dans un cadre Êconomique et institutionnel qui encourage les gens à travailler en collaboration, enfin comment elle peut être utilisÊe pour une meilleure gouvernance.

Cette technologie, c'est le logiciel. Le « façonnage » dont il s'agit concerne son cadre légal et institutionnel, c'est-à-dire les termes des licences de copyright.

Étant un des fondateurs de la Free Software Foundation, j'ai travaillé pendant 16 ans sur le cadre légal et institutionnel dans lequel nous utilisons et développons le logiciel. GNU/Linux, un système logiciel complet, est né de ces efforts.

Les TIC, technologies de l'information et de la communication, sont formÊes de composants matÊriels et logiciels. Je ne parlerai ici que de l'aspect logiciel. Quoi qu'il en soit, j'espère pouvoir Êtendre notre expÊrience de ce sujet à d'autres technologies.

Quand je parle de logiciel, je veux parler aussi bien de ce qui fait tourner l'ordinateur, c'est-à-dire le système d'exploitation, que des applications comme le courrier Êlectronique et autres moyens de communication, les tableurs, le commerce Êlectronique, les outils de traitement du texte, l'envoi et la rÊception de fax, la crÊation de sites web, l'ingÊnierie, la recherche, les calculs mathÊmatiques, la modÊlisation, la manipulation d'images et les rÊseaux.

Ces dernières annÊes, le prix des ordinateurs et des matÊriels de communication a tellement baissÊ que de plus en plus de gens les utilisent. En effet, les organisateurs de notre confÊrence estiment à un sur trente le nombre de personnes dans le monde ayant un accès informatique aux communications Êlectroniques, qui sont connectÊes.

Bien que le rapport d'un sur trente reprÊsente une faible proportion de la population mondiale, cette technologie est populaire, grandissante et commence à prendre de plus en plus de place dans notre quotidien. De plus, nous nous attendons à ce que les ordinateurs et les coÝts des communications continuent à baisser, pendant encore une gÊnÊration au moins, ce qui signifie que ceux qui n'y ont pas encore accès vont en fin de compte en profiter.

Comme pour toute technologie, le logiciel peut s'utiliser d'une bonne ou d'une mauvaise façon.

En ce moment, ce sont les deux que nous voyons. Le mauvais côtÊ, ce sont des machines qui plantent sans raison, des courriels qui font perdre de l'argent à leurs destinataires, des systèmes vulnÊrables à de simples virus et des programmes qui ne font qu'une partie de ce qu'on attend d'eux.

La clef du bon usage du logiciel est d'assurer la libertÊ. Cela entraÎne collaboration, prix moins ÊlevÊs, fiabilitÊ, efficacitÊ, sÊcuritÊ et moins de barrières à l'entrÊe et à l'usage.

Pour faire bon usage de la technologie logicielle, les gens doivent avoir le droit, garanti par la loi, de la copier, l'ĂŠtudier, la modifier et la redistribuer. Tout le reste en dĂŠcoule.

Le logiciel GNU/Linux donne ces droits aux gens. Les programmeurs en bĂŠnĂŠficient, mais plus important, les non-programmeurs aussi en bĂŠnĂŠficient.

Par exemple, les habitants d'une zone oĂš les services tĂŠlĂŠphoniques sont mĂŠdiocres ou inexistants peuvent utiliser un logiciel robuste, appelĂŠ UUCP, pour leurs communications. J'ai lu rĂŠcemment qu'un groupe d'Oxfam l'a fait.

Ceux qui ont de vieilles machines, même à base d'un antique 80386, peuvent faire tourner des programmes efficaces, qui en font autant que des programmes exigeant un Pentium moderne et de la mémoire hors de prix. Ils peuvent très bien utiliser ces machines comme serveurs de pages web ou comme routeurs – comme infrastructure pour les communications.

Les gens ne possédant qu'un seul ordinateur peuvent brancher un ou deux terminaux supplémentaires, installer deux ou trois chaises devant au lieu d'une seule, tout cela pour un surcoût modique. Je l'ai fait : un ami est venu me rendre visite et nous voulions tous deux travailler en même temps sur ma machine. Courriel, surf sur le web, rédaction, administration réseau, tout cela nous l'avons fait en même temps.

Une communauté, ou une collectivité, peut créer sa propre liste de diffusion ou son forum, privé ou public. Il est là, le « collecticiel » [groupware]. Deux personnes ou plus peuvent travailler sur le même document au même moment, même s'ils habitent des pays différents. La dernière fois qu'il m'est arrivé de le faire, je travaillais avec un copain qui était de l'autre côté de l'Atlantique.

Avec quel alphabet voulez-vous écrire ? Hindî, chinois, thaï ? Pas de problème, et dans la même fenêtre que l'anglais ou le cyrillique.

Que ce soit une personne isolĂŠe ou un groupe, tout le monde peut construire son site web. Un ĂŠditeur peut composer ses propres livres. Un comptable peut analyser un budget. Les malvoyants ont la possibilitĂŠ d'entendre Ă  haute et intelligible voix un texte via leur ordinateur.

Vous pouvez choisir parmi plusieurs interfaces graphiques, de la plus ĂŠlaborĂŠe Ă  la plus simple et pratique, en passant par celle dont l'aspect et le comportement rappellent Microsoft Windows.

À part le système vocal pour les malvoyants, qui demande un matériel audio que je n'ai jamais installé sur ma machine, toutes les applications que je viens de citer tournent sur mon ordinateur personnel. Et je connais des gens qui ont installé le matériel audio et qui peuvent entendre les textes.

Toutes ces applications étaient sur un cédérom. Il se trouve qu'il m'avait été donné gratuitement, mais il m'est aussi arrivé de payer des CD contenant d'autres versions de ces programmes ; il est parfois simplement plus commode d'acheter. Et si vous avez une connexion Internet rapide, vous pouvez facilement télécharger le logiciel, il ne vous en coûtera que le prix de la connexion.

Cette profusion de logiciels est disponible et peut s'utiliser n'importe oĂš dans le monde.

Pour revenir à la question : comment cette technologie a-t-elle été façonnée ? Je me répète ; la clef c'est la liberté : le droit, garanti par la loi, de copier, étudier, modifier et redistribuer le logiciel.

L'outil juridique spÊcifique que nous avons utilisÊ pour engendrer ces libertÊs et les avantages qui en dÊcoulent est une licence de copyright spÊcialement conçue, la licence publique gÊnÊrale GNU.

Cette licence vous donne plus de droits que le copyright de base et plus de droits que beaucoup d'autres sortes de licences de logiciel. Pour aller Ă  l'essentiel, elle vous interdit d'interdire. Elle vous permet de faire tout le reste.

J'aimerais approfondir cette liste de droits : copier, étudier, modifier et redistribuer.

En premier lieu, le droit de copier.

Il y a peu de gens qui possèdent une usine capable de recopier une voiture. De fait, reproduire une voiture est tellement difficile que nous utilisons un autre mot ; nous parlons de « fabriquer » ou « construire » une voiture. Et il n'y a pas tant que ça de constructeurs automobiles dans le monde. Bien moins d'une personne sur trente possède une usine automobile ou a la possibilité d'y accéder facilement.

Mais quiconque possède un ordinateur possède une usine, un moyen de fabriquer des logiciels, autrement dit, de faire de nouvelles copies. Puisqu'il est tellement facile de copier les logiciels, nous n'employons pas le terme de « fabriquer » ; en général, on ne le voit même pas sous cet angle, pourtant il s'agit bien de cela.

Le droit de copier des logiciels, c'est le droit d'utiliser vos propres moyens de production (si vous me permettez cette expression dĂŠmodĂŠe). Des millions de gens, quelques pour cents de la population mondiale, ont entre leurs mains ces moyens de production.

Naturellement, des efforts ont ĂŠtĂŠ faits pour vous enlever vos droits d'utiliser votre bien personnel comme une usine dont vous ĂŞtes propriĂŠtaire.

En deuxième lieu, le droit d'étudier. Ce droit n'est pas d'un intérêt immédiat pour ceux qui ne programment pas. C'est un peu comme le droit, pour un juriste, de lire des manuels de droit. À moins d'être juriste, c'est le genre de livres que vous éviterez.

Et pourtant, le droit d'ĂŠtudier a plusieurs implications, autant pour les programmeurs que pour tous les autres.

Le droit à l'étude signifie que les personnes vivant au Mexique, en Inde ou en Malaisie peuvent étudier le même code qui est utilisé en Europe ou aux États-Unis. Ce qui veut dire qu'on ne les empêche pas d'apprendre comment les autres ont réussi.

Il faut garder à l'esprit que beaucoup de programmeurs travaillent avec la contrainte qu'il leur est interdit de voir le code d'autres programmeurs. Plutôt que de se hisser sur les Êpaules de leurs prÊdÊcesseurs, ce qui reste la meilleure façon d'avancer et de voir plus loin, ils se retrouvent la tête dans le sac. Le droit d'Êtudier, c'est le droit de voir plus loin, de progresser, du haut des Êpaules de gÊants.

En outre, le droit d'ĂŠtudier signifie que le logiciel lui-mĂŞme doit ĂŞtre disponible sous une forme qui soit lisible par vous et moi.

Un logiciel se prĂŠsente sous deux formes, l'une qui est lisible uniquement par les ordinateurs et l'autre qui est lisible par les gens. La forme que l'ordinateur peut lire est celle qu'il exĂŠcute. C'est ce qu'on appelle un binaire, ou exĂŠcutable. La forme qu'un humain peut lire s'appelle le code source. C'est ce que crĂŠe un programmeur humain, pour ĂŞtre ensuite traduit, par un autre programme d'ordinateur, en binaire ou exĂŠcutable.

Le droit suivant, celui de modifier, est le droit de corriger un problème ou d'apporter des amÊliorations. Pour la plupart des gens, cela signifie le droit que vous avez, vous ou votre organisation, de payer quelqu'un pour faire le travail à votre place, à peu près comme vous payez un mÊcanicien pour rÊparer votre voiture ou un charpentier pour agrandir votre maison.

Les modifications sont d'une aide certaine. Les dÊveloppeurs d'applications ne peuvent pas penser à toutes les façons dont les utilisateurs feront usage de leurs logiciels. Les dÊveloppeurs ne peuvent pas prÊvoir les nouvelles contraintes auxquelles leur code sera soumis. Ils ne peuvent pas anticiper toutes les conditions locales, par exemple qu'un Malais utilisera un programme qui avait tout d'abord ÊtÊ Êcrit en Finlande.

Et pour en terminer avec ces droits, parlons de celui de redistribuer.

Cela signifie que vous, qui avez un ordinateur, une usine Ă  logiciels, vous avez le droit de faire des copies d'un programme et de le redistribuer. Vous pouvez faire payer ces copies ou les distribuer gratuitement. D'autres peuvent faire la mĂŞme chose.

Bien sûr, plusieurs des gros fabricants de logiciels veulent vous empêcher de vous servir votre propre bien. Ils ne peuvent pas gagner dans un marché libre, alors ils attaquent autrement. Aux États-Unis, par exemple, on voit de récentes propositions de lois qui vous ôtent votre liberté.

Le droit de redistribuer, tant qu'il est dĂŠfendu et appliquĂŠ, signifie que le logiciel est vendu au sein d'un marchĂŠ concurrentiel, libre. Ceci a plusieurs consĂŠquences. Une des consĂŠquences, c'est un prix bas, favorable au consommateur.

Mais d'abord et avant tout, ces droits Êconomiques et lÊgaux amènent à collaborer, un des thèmes de cette confÊrence.

Ce rĂŠsultat est contraire aux attentes de pas mal de gens. Peu d'entre eux s'attendaient Ă  ce que dans un marchĂŠ concurrentiel, libre, chaque producteur devienne plus coopĂŠratif et qu'on ne sente ni ne voie de compĂŠtition parmi les entrepreneurs en concurrence.

Plus un marchĂŠ est concurrentiel, plus vous voyez de coopĂŠration. Cette implication, qui va apparemment contre toute intuition, a ĂŠtĂŠ aussi bien observĂŠe que dĂŠduite.

C'est possible parce que les gens ne sont pas lĂŠsĂŠs en faisant ce qu'ils ont envie de faire. Les gens aiment aider leurs voisins.

Prenez un petit fermier, un parmi un million. Mon ami George, chez moi aux États-Unis, est un de ceux-là.

Sa rĂŠcolte est tellement maigre qu'il ne peut rien faire sur les prix au niveau mondial. Son voisin est dans la mĂŞme situation.

Du coup, si George aide son voisin, c'est profitable Ă  son voisin et George, lui, ne perdra rien sur ce que lui rapporte sa rĂŠcolte.

À partir du moment où George n'y perd rien, il a toutes les raisons d'aider son voisin. George n'est pas simplement serviable, il a compris que s'il donne un coup de main à son voisin, ce dernier lui renverra probablement l'ascenseur.

Voilà ce que vous observez dans un marché concurrentiel libre : de la coopération.

Une compÊtition visible indique que le marchÊ n'est pas complètement libre et concurrentiel. Une compÊtition visible, cela veut dire qu'au mieux vous n'avez qu'un marchÊ semi-libre.

Allons plus loin : si un logiciel est vendu sur un marché libre, la concurrence entre les fournisseurs va faire tomber les prix, ce qui va profiter aux non-programmeurs.

Voyons les choses autrement : le prix d'un logiciel est déterminé en premier lieu par des considérations juridiques, par le degré de liberté dont profitent les acheteurs. Si ceux-ci ont l'interdiction d'acheter un produit sauf à prix élevé et que cette prohibition soit rendue effective, le produit sera cher. C'est ce qui se passe aujourd'hui avec beaucoup de logiciels privateurs.1

Par contre, si le produit est mis en vente sur un marchĂŠ libre, la concurrence entre les fournisseurs en fera baisser le prix.

Et vraiment, il y aura des cas où les prix seront tellement bas que des sociétés ou d'autres organisations donneront les cédéroms contenant les logiciels ; d'autres feront des copies pour leurs amis ; et d'autres encore les mettront en téléchargement sur Internet, gratuitement.

Cela signifie que le logiciel lui-mĂŞme, support nĂŠcessaire Ă  un projet communautaire ou marchand, deviendra Ă  la fois peu coĂťteux et lĂŠgal.

Placez-vous du point de vue d'une PME ou d'une association locale. Elle pourrait utiliser un logiciel privateur diffusĂŠ via une distribution restrictive et alors, soit payer une somme qu'elle n'a pas, soit enfreindre la loi et le voler.

En revanche, le logiciel libre est bon marchĂŠ et lĂŠgal. Il est plus accessible. Il est aussi personnalisable, plus que ne peuvent l'ĂŞtre les logiciels restrictifs. Il donne de l'autonomie.

Nous façonnons le dÊveloppement de cette technologie, nous crÊons la collaboration à travers l'utilisation d'un outil juridique, une licence, qui vous donne plus de droits que vous n'en auriez autrement, qui vous interdit d'interdire, ce qui, dans ce cas, vous donne le droit de copier, Êtudier, modifier et redistribuer le logiciel.

Parce qu'y sont associées des libertés, ce logiciel est appelé « logiciel libre » [free software].

Pendant que j'y suis, laissez-moi ĂŠclaircir un terme qui parfois induit en erreur les anglophones.

Le faible coÝt du logiciel libre fait croire à certains anglophones que le mot free dans l'expression free software (logiciel libre), signifie gratuit. Non, free est pris dans le sens de libre, mais il est facile de faire la confusion.2 Après tout, j'ai parlÊ de consommation modeste des ressources, de logiciel peu coÝteux.

Le mot anglais free a plusieurs sens. Comme me le disait un jour un ami mexicain, dirigeant par ailleurs d'un gros projet de logiciel libre :

Il y a quelque chose qui ne va pas dans la langue anglaise ; elle ne sait pas faire la différence entre une « bière gratuite » et la « libre expression ».

L'espagnol, au contraire, fait la distinction entre gratis et libre (se prononce à peu près « libré ») ; free software se dit software libre.

De mĂŞme, la langue de nos hĂ´tes, le bahasa Melayu,3 fait la distinction entre pecuma et kebebasa. Un logiciel libre est un logiciel kebebasa.

Entre parenthèses, Éric Raymond et Bruce Perens ont inventé il y a quelques années le terme « open source » (sources accessibles, ouvertes) comme synonyme de « logiciel libre ». Ils voulaient modifier la mauvaise opinion qu'avaient certaines sociétés du marché du libre. Le terme est devenu courant. Éric et Bruce ont atteint leur but.

Cependant, je préfère le terme de « logiciel libre », qui transmet mieux l'objectif de liberté ; cette proposition que chaque homme, chaque femme, même vivant dans un pays du tiers-monde, a le droit de faire un travail rémunérateur, et qu'on ne doit pas le lui interdire.

J'ai mentionnĂŠ le fait qu'une communautĂŠ ou une collectivitĂŠ peut utiliser un logiciel bon marchĂŠ et lĂŠgal.

Maintenant, laissez-moi vous parler de l'industrie logicielle elle-mĂŞme.

Parce que la concurrence dans un marchĂŠ concurrentiel pousse vers le bas le prix des logiciels libres, personne ne s'engage dans l'industrie logicielle pour vendre des logiciels en tant que tels. Par contre, et cela est souvent mĂŠconnu, il est possible de gagner de l'argent par d'autres moyens.

Les sociĂŠtĂŠs et les personnes impliquĂŠes dans l'industrie logicielle ne vendent pas les logiciels en eux-mĂŞmes, mais plutĂ´t les services associĂŠs au logiciel, au matĂŠriel ou Ă  d'autres solutions.

C'est ce qui se passe dans les professions mÊdicales ou juridiques. Aussi bien la connaissance mÊdicale que le droit sont librement redistribuables. MÊdecins et juristes vendent leurs services pour rÊsoudre des problèmes.

De quels services est-ce que je veux parler ? Le plus évident : aider à se servir d'un ordinateur ou, pour prendre des exemples plus précis, mettre en place un réseau de radiocommunication par paquets dans un endroit où il n'y a pas de téléphone, ou encore créer et entretenir une base de données pour un entrepôt.

Exemple moins ĂŠvident, les sociĂŠtĂŠs qui vendent des tĂŠlĂŠphones ou des usines pour le dessalement de l'eau ajoutent de plus en plus souvent du logiciel Ă  leurs produits pour les rendre plus attrayants aux yeux des acheteurs.

Notez que les programmeurs écrivent eux-mêmes des logiciels pour quatre raisons principales : d'abord, ils sont payés pour résoudre un problème, tout comme un juriste est payé pour rédiger un contrat. Ensuite, il peut s'agir d'une partie d'un autre projet. Troisièmement, pour accroître leur réputation et finalement, parce qu'ils en ont envie.

J'ai parlÊ du façonnage de cette technologie pour favoriser la collaboration. La clef, c'est la libertÊ et la crÊation d'un cadre lÊgal qui favorise la libertÊ.

Maintenant, j'aimerais aborder les projets qui mènent à la prospÊritÊ.

Un des problèmes a trait aux ressources, ou plutôt à leur absence.

Comme je l'ai dit plus haut, les logiciels libres rÊduisent les barrières à l'entrÊe, que ce soit dans l'industrie logicielle elle-même ou dans les autres industries et activitÊs.

Le logiciel libre, la culture de coopÊration et la manière de penser qui va avec, permettent de rÊduire les coÝts d'exploitation.

Permettez-moi de prendre un exemple tirÊ tout droit de cette confÊrence. Tout d'abord, je dois vous dire que j'ai des correspondants un peu partout dans le monde. Ils ne vivent pas tous dans des pays riches. Eux-mêmes ou les institutions qui les financent ne sont jamais très riches.

Les premiers messages que j'ai reçus à propos de cette confÊrence ont utilisÊ plus de quatre fois et demie les ressources nÊcessaires à la circulation de l'information. Ils ont ÊtÊ envoyÊs sous forme inutilement volumineuse.

La prochaine fois que vous aurez à budgÊtiser un projet, imaginez le payer quatre fois et demie son prix. RÊflÊchissez alors à la manière dont vous allez le financer.

La prochaine fois que vous paierez l'addition, sortez quatre fois et demi plus d'argent de votre poche…

Pour moi, l'utilisation des ressources n'est pas un problème, puisque la tÊlÊcommunication ne m'est pas facturÊe à la minute comme c'est souvent le cas. Mais je sais que mes correspondants de par le monde prÊfèrent que je fasse attention à mes communications, que je ne gaspille pas leur argent ni celui des institutions qui les financent.

L'une des caractéristiques remarquables des logiciels libres est qu'ils peuvent tourner sur de vieilles machines aux capacités modestes, comme je l'ai mentionné tout à l'heure. Par exemple, il y a quelques mois, j'ai lancé sur le 486 de ma sœur un gestionnaire de fenêtres, un navigateur web graphique et un programme de manipulation d'images. Tout cela a parfaitement fonctionné.

Les ĂŠditeurs de texte, les programmes de courrier ĂŠlectronique et les tableurs demandent encore moins de ressources.

Cette frugalitĂŠ signifie que les gens peuvent utiliser le vieux matĂŠriel qui a ĂŠtĂŠ mis au rebut par les plus grandes sociĂŠtĂŠs mondiales. Ce matĂŠriel n'est pas cher, souvent mĂŞme offert. Les ordinateurs ont besoin d'ĂŞtre transportĂŠs. Vous aurez parfois Ă  prĂŠvoir localement de retaper le matĂŠriel et de le remplir de logiciels libres, peu coĂťteux et personnalisĂŠs. Pour l'utilisateur final, ces machines coĂťtent moins qu'une machine neuve.

Par ailleurs, les constructeurs fabriquent des ordinateurs modernes bas de gamme qui en font tout autant que les vieux et ne sont pas trop chers.

Ce n'est pas la peine d'acheter un matĂŠriel onĂŠreux, flambant neuf, pour faire tourner vos logiciels.

En conclusion…

On m'a demandé de parler sur :

« Façonner le développement et les projets collaboratifs dans les TIC pour la prospérité mondiale ».

Ces 16 dernières années, je les ai passées à travailler avec des gens qui ont façonné le logiciel grâce à un outil juridique qui vous donne maintes libertés : celles de copier, étudier, modifier et redistribuer le logiciel.

Cet outil façonne la technologie logicielle pour la rendre plus accessible et en faire un instrument plus efficace d'autonomie ; il encourage les gens à travailler en collaboration et offre une technologie qui permet une meilleure gouvernance.

Cet outil juridique signifie que les sociĂŠtĂŠs impliquĂŠes dans les TIC sont en concurrence non pas pour le logiciel lui-mĂŞme, mais pour la vente de services associĂŠs au logiciel ou la vente de matĂŠriel ou d'autres solutions.

Ce cadre juridique veut dire que les sociĂŠtĂŠs offriront des services plus fiables et plus efficaces.

La libertĂŠ, garantie par une licence adĂŠquate, signifie que les gens qui utilisent les ordinateurs ou les tĂŠlĂŠcommunications comme outils peuvent prendre pied dans leur industrie plus facilement.

Cela signifie que tous les usagers peuvent rĂŠduire leurs coĂťts d'installation et d'exploitation, ce qui implique que les gens vivant dans des pays plus pauvres n'envoient pas leur argent aux pays riches, mais qu'ils le maintiennent dans leur ĂŠconomie locale.

De plus, comme je l'ai dit plus haut, les licences logicielles de la distribution restrictive forcent souvent les gens Ă  choisir entre violer la loi et payer une somme qu'ils n'ont pas.

Par souci de bonne gouvernance, un pays ne devrait pas forcer les personnes qui tentent de travailler dĂŠcemment Ă  prendre une telle dĂŠcision. Trop souvent, une personne par ailleurs respectueuse des lois, mais sans grandes ressources, choisira de violer la loi.

Ce pays devrait plutôt faire en sorte qu'agir dans le respect des lois soit, sans discussion, le meilleur choix, à la fois pour des raisons légales, morales et pratiques. On s'attend toujours à ce que son voisin soit respectueux des lois et honnête ; c'est ce qu'encourage le logiciel libre.

Le logiciel libre donne la maĂŽtrise de leur vie Ă  ceux qui ĂŠtaient laissĂŠs pour compte.


Notes de traduction
  1.   Autre traduction de proprietary : propriétaire.
  2.   Cette confusion est peu probable en français, car on peut difficilement donner à « libre » le sens de gratuit. Et pourtant, la première réaction des gens à qui l'on parle de logiciel libre est souvent : « Ah oui, les logiciels gratuits ? »
  3.   Malais (groupe de langues très proches les unes des autres).